mercredi 17 février 2010

Absence

C'est les vacances.. Pour certains privilégiés.. dont je suis.. Je vous abandonne donc une fois encore.... Je serai de retour aux alentours du 1er Marx... Euh!.. Mars!... Je vous laisse deux textes pour patienter.. Le premier de ma pomme et déjà posté sur le blog "philo".. C'est à l'attention de ceux qui ne visitent pas... Le second, de Mr de la Boétie.. C'est long.. je reconnais.. Mais lisez ça et jugez de l'actualité d'un penseur de 18ans qui a écrit ça en 1576.... Qu'avons-nous fait de notre jeunesse?

1) , donc

Heisenberg et l'incertitude

La vache!.. Un moment, j’ai eu peur... J’étais au clavier, là, as usual, et c’était l’heure de la philo, sur France-cul, et là!.... Badablang!... Hume, scepticisme (prononcez “skeptissizem”...) , Schrödinger, Heisenberg, l’incertitude, le doute, la physique quantique.... Tout à coup, j’avoue, j’ai chancelé.... Ach!.. Le doute!.... N’aurais-je pas tout à fait compris?.... Il m’a fallu une demi-heure.... Et trente minutes, dans la vie d’un type comme moi, c’est absolument terrible!.... Il faut que je vous avoue une tare irrémédiable: je suis un scientifique..... Et pas un amateur, hein, un estampillé.... Bac plus cinq.... Et, conséquence mais autre tare insurmontable, je suis passé à la littérature par le biais du livre d’un physicien, W. Heisenberg, qui a pour titre: physique et philosophie. Heisenberg, c’est l’inventeur du principe d’incertitude..... Comme vous n’êtes pas forcément scientifiques vous-mêmes, je vous explique ce qu’est un principe: un “truc machin” qui s’applique et que l’on n’est pas, pour l’instant, capable d’expliquer. Celui d’Archimède est célèbre... Il y eût un long temps celui de Fermat mais un petit génie a réussi, celui-là, à le démontrer.... Ce qui n’est pas rien!.. Mais démontrer que les principes, au sens mathématique, des fois, ça décrit la réalité n’est pas une nécessité absolue... La seule chose qui manque, c’est la démonstration.... Mais les principes, en général, eux, décrivent la réalité, avec ou sans... Je suis donc absolument désolé d’avouer ici que ma pensée repose sur un principe... ce qui signifie que j’espère que, quelque jour, il sera enfin démontré... Ce qui est une tare, j’en conviens.. Et, je m’en excuse, je suis donc comme tout le monde: j’ai des certitudes..... Cela avoué, on pourrait causer de la nature des certitudes de chacun.. Là, je sens qu’on va se fâcher... Et, donc, voilà que France-cul attaque au marteau-piqueur ma certitude fondatrice: le principe d’incertitude de W. Heisenberg. Tout est passible de remise en cause, vous dites? Ben, évidemment, c’est d’ailleurs pour ça que j’en suis bouleversiffié... Je pourrais vous parler de votre propre capacité à vous remettre en cause.... Ce ne serait pas triste... Mais ce ne serait qu’une défense.... Une justification....

Au bout d’une demi-heure, je me suis rendu compte que les invités de l’émission étaient tous des littéraires. Alors vous allez me dire que je me suis raccroché à mes branches... Ces foutus littéraires n’y connaissent rien en sciences et c’est donc normal, pour moi, qu’ils paraissent à côté de la plaque... Et vous aurez raison... Sauf que, si vous me lisez, vous savez que je viens de mettre le doigt sur un problème que j’ai déjà soulevé: le manque de culture scientifique qui concerne, par exemple, un homme comme Camus, qui ne conclut à “l’absurde”, à mon sens, que parce qu’il manque cruellement du recul que pourrait lui donner une culture scientifique dans sa conception de l’univers. En gros, ce n’est pas parce qu’on ne comprend pas qu’il n’y a rien à comprendre.... C’est, pour le moins, un peu court.... Autrement dit : ce n’est pas parce qu’on ne trouve pas de sens à l’organisation de la matière qu’il n’y a pas de sens à l’organisation de la matière.. Mais c’est encore assez faible, comme vertige... Parce que, lorsqu’on jouit d’une éducation scientifique rigoureuse, ce dont on s’aperçoit, à terme, c’est que l’absence de sens n’est pas en soi un problème. Mieux!, que c’est la recherche de sens qui interdit de trouver un sens éventuel.... Parce que toute quête de sens est obligatoirement une réduction du champs du possible.... Pour moi, cette constatation repose sur la lecture du livre de W. Heisenberg. Je suppose qu’il existe d’autres chemins pour en arriver à ce point. Mais ce qui est essentiel dans les considérations philosophiques de Heisenberg, c’est qu’il existe des limites intangibles à notre quête de savoir, à la recherche de sens. En énonçant qu’on ne peut, mathématiquement, pas connaître à la fois la position et la vitesse d’une particule, Heisenberg pose un jalon, sème un caillou, qui nous dit une chose: on ne peut pas tout savoir. En d’autres termes: la science a ses propres limites et ne pourra pas percer tous les mystères de la matière, de la vie, de l’univers.... A partir de lui, on sait que c’est impossible.... La géométrie, me disait un maître d’école de mon enfance, c’est l’art de raisonner vrai sur des figures fausses... Et peu m’importe, en vérité, de savoir si Heisenberg a ou non découvert un vrai principe, démontrable ou non. Il a levé un coin du voile sur notre devenir: depuis lui, on sait qu’il existe, qu’il pourrait exister, des choses, des phénomènes, qu’on n’expliquera jamais. Il a fixé une borne à la connaissance. Un putain de pavé dans la mare de tous ceux qui croient que le progrès peut mener toujours plus loin. D’un point de vue littéraire ou bien psychologique, ce genre d’affirmation génère logiquement une protestation évidente: la première limite au savoir de l’Homme, c’est bien entendu l’Homme lui-même. Ce qu’il trouve dépend entièrement de ce qu’il cherche.... Mais aussi des moyens qu’il se donne pour le rechercher. En particulier de sa capacité à remettre en cause ses propres certitudes. C’est d’une logique imparable. Si j’admets que la connaissance pourrait avoir des limites, c’est qu’il m’est favorable d’admettre que la connaissance peut en avoir. C’est exactement le genre de protestation que vous soulevez lorsque vous tentez d’expliquer à un quidam que la vitesse de la lumière est une barrière infranchissable pour notre forme d’organisation. Immédiatement, vous pouvez voir dans ses yeux le doute bonhomme s’installer, doute qui repose sur une croyance: si on ne parvient pas à franchir la vitesse de la lumière, c’est évidemment parce qu’on n’a pas inventé le moteur capable de nous y propulser. Ce n’est qu’une question de temps. Et bien non. Ce n’est pas une question de progrès. C’est tout bonnement impossible. Ce genre de limite posé à l’imaginaire humain n’est pas très bien pris. Comme si on remettait en cause la liberté fondamentale de l’être humain en énonçant des vérités intangibles de cette sorte. C’est agaçant. Je pense que poser une limite au savoir humain est du même ordre. En ce sens, Heisenberg est un des rares très grands esprits de notre histoire. Une rupture véritable dans l’univers de la pensée... Mais si l’agacement est votre tasse de thé, je peux en rajouter: je connais d’autres limites aux possibilités de la matière.

Quant à mon émission, je me suis rassuré lorsque j’ai entendu l’un des intervenants expliquer très sérieusement que l’impossibilité face à laquelle nous a amenés Heisenberg tenait uniquement à la nature même de la mesure, c’est à dire à la perturbation introduite dans la mesure par l’instrument lui-même. Et ça, désolé, on n’en sait rien. Et on est bien incapable de l’affirmer. Peut-être que c’est l’instrument... Ce qui est la version la plus simpliste.... Mais peut-être que c’est une propriété intrinsèque de la matière. On n’en sait absolument rien. Et on n’en saura probablement jamais rien. Cette émission portait sur les philosophes sceptiques. Il est notable de constater que les intervenants ne semblaient pas atteints, eux-mêmes, par un doute quelconque sur la capacité de l’Homme à connaître... Mais peu importe, au fond, de savoir si oui ou non Heisenberg a énoncé ou non un principe. Un véritable principe. Qui se vérifie ou se vérifiera quoi qu’on fasse ou sache. Ce qui compte, c’est qu’il a mis le doigt sur une problématique dont tous les scientifiques les plus performants ont toujours eu une conscience vague mais profonde: l’Homme ne peut pas tout savoir. C’est un concept absolument révolutionnaire aujourd’hui encore.

PP


et 2)

J’en arrive maintenant à un point qui est, selon moi, le ressort et le secret de la domination, le soutien et le fondement de toute tyrannie. Celui qui penserait que les hallebardes, les gardes et le guet garantissent les tyrans, se tromperait fort. Ils s’en servent, je crois, par forme et pour épouvantail, plus qu’ils ne s’y fient. Les archers barrent l’entrée des palais aux malhabiles qui n’ont aucun moyen de nuire, non aux audacieux bien armés. On voit aisément que, parmi les empereurs romains, moins nombreux sont ceux qui échappèrent au danger grâce au secours de leurs archers qu’il n’y en eut de tués par ces archers mêmes. Ce ne sont pas les bandes de gens à cheval, les compagnies de fantassins, ce ne sont pas les armes qui défendent un tyran, mais toujours (on aura peine à le croire d’abord, quoique ce soit l’exacte vérité) quatre ou cinq hommes qui le soutiennent et qui lui soumettent tout le pays. Il en a toujours été ainsi : cinq ou six ont eu l’oreille du tyran et s’en sont approchés d’eux-mêmes, ou bien ils ont été appelés par lui pour être les complices de ses cruautés, les compagnons de ses plaisirs, les maquereaux de ses voluptés et les bénéficiaires de ses rapines. Ces six dressent si bien leur chef qu’il en devient méchant envers la société, non seulement de sa propre méchanceté mais encore des leurs. Ces six en ont sous eux six cents, qu’ils corrompent autant qu’ils ont corrompu le tyran. Ces six cents en tiennent sous leur dépendance six mille, qu’ils élèvent en dignité. Ils leur font donner le gouvernement des provinces ou le maniement des deniers afin de les tenir par leur avidité ou par leur cruauté, afin qu’ils les exercent à point nommé et fassent d’ailleurs tant de mal qu’ils ne puissent se maintenir que sous leur ombre, qu’ils ne puissent s’exempter des lois et des peines que grâce à leur protection. Grande est la série de ceux qui les suivent. Et qui voudra en dévider le fil verra que, non pas six mille, mais cent mille et des millions tiennent au tyran par cette chaîne ininterrompue qui les soude et les attache à lui, comme Homère le fait dire à Jupiter qui se targue, en tirant une telle chaîne, d’amener à lui tous les dieux. De là venait l’accroissement du pouvoir du Sénat sous Jules César, l’établissement de nouvelles fonctions, l’institution de nouveaux offices, non certes pour réorganiser la justice, mais pour donner de nouveaux soutiens à la tyrannie. En somme, par les gains et les faveurs qu’on reçoit des tyrans, on en arrive à ce point qu’ils se trouvent presque aussi nombreux, ceux auxquels la tyrannie profite, que ceux auxquels la liberté plairait.
Au dire des médecins, bien que rien ne paraisse changé dans-notre corps, dès que quelque tumeur se manifeste en un seul endroit, toutes les humeurs se portent vers cette partie véreuse. De même, dès qu’un roi s’est déclaré tyran, tout le mauvais, toute la lie du royaume, je ne dis pas un tas de petits friponneaux et de faquins qui ne peuvent faire ni mal ni bien dans un pays, mais ceux qui sont possédés d’une ambition ardente et d’une avidité notable se groupent autour de lui et le soutiennent pour avoir part au butin et pour être, sous le grand tyran, autant de petits tyranneaux.
Tels sont les grands voleurs et les fameux corsaires ; les uns courent le pays, les autres pourchassent les voyageurs ; les uns sont en embuscade, les autres au guet ; les uns massacrent, les autres dépouillent, et bien qu’il y ait entre eux des prééminences, que les uns ne soient que des valets et les autres des chefs de bande, à la fin il n’y en a pas un qui ne profite, sinon du butin principal, du moins de ses restes. On dit que les pirates ciliciens se rassemblèrent en un si grand nombre qu’il fallut envoyer contre eux le grand Pompée, et qu’ils attirèrent à leur alliance plusieurs belles et grandes villes dans les havres desquelles, en revenant de leurs courses, ils se mettaient en sûreté, leur donnant en échange une part des pillages qu’elles avaient recélés.
C’est ainsi que le tyran asservit les sujets les uns par les autres. Il est gardé par ceux dont il devrait se garder, s’ils valaient quelque chose. Mais on l’a fort bien dit : pour fendre le bois, on se fait des coins du bois même ; tels sont ses archers, ses gardes, ses hallebardiers. Non que ceux-ci n’en souffrent souvent eux-mêmes ; mais ces misérables abandonnés de Dieu et des hommes se contentent d’endurer le mal et d’en faire, non à celui qui leur en fait, mais bien à ceux qui, comme eux, l’endurent et n’y peuvent mais. Quand je pense à ces gens qui flattent le tyran pour exploiter sa tyrannie et la servitude du peuple, je suis presque aussi souvent ébahi de leur méchanceté qu’apitoyé de leur sottise. Car à vrai dire, s’approcher du tyran, est-ce autre chose que s’éloigner de sa liberté et, pour ainsi dire, embrasser et serrer à deux mains sa servitude ? Qu’ils mettent un moment à part leur ambition, qu’ils se dégagent un peu de leur avidité, et puis qu’ils se regardent ; qu’ils se considèrent eux-mêmes : ils verront clairement que ces villageois, ces paysans qu’ils foulent aux pieds et qu’ils traitent comme des forcats ou des esclaves, ils verront, dis-je, que ceux-là, si malmenés, sont plus heureux qu’eux et en quelque sorte plus libres. Le laboureur et l’artisan, pour asservis qu’ils soient, en sont quittes en obéissant ; mais le tyran voit ceux qui l’entourent coquinant et mendiant sa faveur. Il ne faut pas seulement qu’ils fassent ce qu’il ordonne, mais aussi qu’ils pensent ce qu’il veut et souvent même, pour le satisfaire, qu’ils préviennent ses propres désirs. Ce n’est pas le tout de lui obéir, il faut encore lu complaire ; il faut qu’ils se rompent, se tourmentent, se tuent à traiter ses affaires, et puisqu’ils ne se plaisent qu’à son plaisir, qu’ils sacrifient leur goût au sien, qu’ils forcent leur tempérament et dépouillent leur naturel. Il faut qu’ils soient attentifs à ses paroles, à sa voix, à ses regards, à ses gestes : que leurs yeux, leurs pieds, leurs mains soient continuellement occupés à épier ses volontés et à deviner ses pensées.
Est-ce là vivre heureux ? Est-ce même vivre ? Est-il rien au monde de plus insupportable que cet état, je ne dis pas pour tout homme de coeur, mais encore pour celui qui n’a que le simple bon sens, ou même figure d’homme ? Quelle condition est plus misérable que celle de vivre ainsi, n’ayant rien à soi et tenant d’un autre son aise, sa liberté, son corps et sa vie ?
Mais ils veulent servir pour amasser des biens : comme s’ils pouvaient rien gagner qui fût à eux, puisqu’ils ne peuvent même pas dire qu’ils sont à eux-mêmes. Et comme si quelqu’un pouvait avoir quelque chose à soi sous un tyran, ils veulent se rendre possesseurs de biens, oubliant que ce sont eux qui lui donnent la force de ravir tout à tous, et de ne rien laisser qu’on puisse dire être à sa personne. Ils voient pourtant que ce sont les biens qui rendent les hommes dépendants de sa cruauté ; qu’il n’y a aucun crime plus digne de mort, selon lui, que l’avantage d’autrui ; qu’il n’aime que les richesses et ne s’attaque qu’aux riches ; ceux-là viennent cependant se présenter à lui comme des moutons devant le boucher, pleins et bien repus comme pour lui faire envie.
Ces favoris devraient moins se souvenir de ceux qui ont gagné beaucoup auprès des tyrans que de ceux qui, s’étant gorgés quelque temps, y ont perdu peu après les biens et la vie. Ils devraient moins songer au grand nombre de ceux qui y ont acquis des richesses qu’au petit nombre de ceux qui les ont conservées. Qu’on parcoure toutes les histoires anciennes et qu’on rappelle toutes celles dont nous nous souvenons, on verra combien nombreux sont ceux qui, arrivés par de mauvais moyens jusqu’à l’oreille des princes, soit en flattant leurs mauvais penchants, soit en abusant de leur naïveté, ont fini par être écrasés par ces mêmes princes, qui avaient mis autant de facilité à les élever que d’inconstance à les défendre. Parmi le grand nombre de ceux qui se sont trouvés auprès des mauvais rois, il en est peu ou presque pas qui n’aient éprouvé eux-mêmes la cruauté du tyran, qu’ils avaient auparavant attisée contre d’autres. Souvent enrichis à l’ombre de sa faveur des dépouilles d’autrui, ils l’ont à la fin enrichi eux-mêmes de leur propre dépouille.
Et même les gens de bien — il arrive parfois que le tyran les aime —, si avancés qu’ils soient dans sa bonne grâce, si brillantes que soient en eux la vertu et l’intégrité (qui, même aux méchants, inspirent quelque respect lorsqu’on les voit de près) ; ces gens de bien, dis-je, ne sauraient se maintenir auprès du tyran ; il faut qu’ils se ressentent aussi du mal commun et qu’ils éprouvent la tyrannie à leurs dépens. Tel un Sénèque, un Burrhus, un Trazéas : cette trinité de gens de bien dont les deux premiers eurent le malheur de s’approcher d’un tyran qui leur confia le maniement de ses affaires, tous deux chéris de lui, et bien que l’un d’eux l’eût élevé, ayant pour gage de son amitié les soins qu’il avait donnés à son enfance, ces trois-là, dont la mort fut si cruelle, ne sont-ils pas des exemples suffisants du peu de confiance que l’on doit avoir dans la faveur d’un méchant maître ? En vérité, quelle amitié attendre de celui qui a le coeur assez dur pour haïr tout un royaume qui ne fait que lui obéir, et d’un être qui, ne sachant aimer, s’appauvrit lui-même et détruit son propre empire ?


E de le Boétie, discours de la servitude volontaire, 1576.....

1 commentaire: